samedi 11 février 2012

Figure 1. Thierry Marx

Thierry Marx est connu comme le chef de file de la cuisine moléculaire. Dans l'entretien du 27 janvier 2012 qu'il a avec Laure Adler pour son émission Hors-Champs , il évoque son itinéraire et l'importance des rencontres qui ont façonné sa vie personnelle et professionnelle. 
Cet aspect plus méconnu, Laure Adler rappelle que Thierry Marx l'a développé dans son autobiographie parue sous le titre Comment je suis devenu chef étoilé. Je ne connais pas son livre mais j'ai attentivement écouté l'émission de France-Culture, surprise d'ailleurs par des points de rencontre avec ma propre expérience, malgré le décalage d'âge et un parcours qui ne porte à priori aucune ressemblance (!).
Il y a - c'est vrai - une évidence : la rencontre avec le Japon puisque j'y ai habité trois années. Néanmoins, ce détour là fut sans aucun doute motivé et vécu de manière très différente, Thierry Marx étant fan de la trilogie samourai depuis l'adolescence et judo-ka, ce qui n'est certes pas mon cas. Ceci étant, je ne peux m'empêcher de penser que le Japon pourrait être pour certains d'entres nous occidentaux comme un révélateur dans une recherche de liberté et de manière d'être. Voilà tout du moins très grossièrement brossée ma rencontre avec ce Thierry Marx-là, le temps d'une émission.

Je n'aborderai pas le Japon ici mais le thème de la rencontre, source d'apprentissage, tel que développé dans ce blog. En effet, Thierry Marx accorde une place essentielle aux rencontres dans son parcours tout du long : elles semblent lui permettre de trouver du sens alors qu'il est en recherche de repères et, ce faisant, lui permettent de gagner en autonomie. A plusieurs reprises, il évoque leur pouvoir d'émancipation. Souvent, elles se rapprochent de figures humaines, notamment quand Thierry Marx parle du rôle des maîtres, sensei en japonais dans son apprentissage de la cuisine. Délicieusement, il dit d'ailleurs que lorsqu'on rencontre un sensei, il faut "éviter de lui poser des questions" pour "se laisser s'imprégner de son savoir".
Ces rencontres se laissent aussi lire dans l'amitié avec d'autres, élément qu'il retiendra notamment de son expérience au Liban. "C'est l'amitié qui va me reconstruire" dira t'il de son retour. Ces amitiés s'expriment sans doute du fait qu'il adhère très tôt à des valeurs fortes comme celles du respect et de la liberté, des valeurs que son grand-père d'origine polonaise lui a transmises par le biais des textes engagés d'Aragon chantés par Léo Ferré. Comme si ces valeurs lui permettaient de s'ouvrir à la rencontre ; ce sont elles qui l'ancreront d'ailleurs dans la pratique. Lorsque Thierry Marx évoque les compagnons des devoirs unis qu'il intègre en boulangerie-pâtisserie après sa rencontre avec Bernard Ganachaud , il rappelle le principe de parrainage et de signature d'un ordre moral des compagnons, l'engagement et la détermination.


D'un point de vue pédagogique, il est intéressant de noter comme dans ces rencontres ("la vie n'est faite que de rencontres"), le pan de l'observation, d'attention extrême, tient une place prépondérante. C'est flagrant dans l'analyse qu'il fait de ce film de Wagaki, film traceur pour lui. Voilà brièvement ce que ce récit de Thierry Marx enseigne : aller à la rencontre, c'est ne pas avoir peur, et pouvoir apprendre de presque n'importe quelle situation.
Il parle du plaisir et des rencontres comme si ils étaient associés, "cette nécessité de l'enseignement, de la culture générale pour s'épanouir, pour être moins violent, pour avoir cette envie de transmettre et puis de comprendre que d'apprendre c'est du plaisir et de la rencontre".
Pourtant, malgré le format court de l'émission, il évoque aussi sans insister les souffrances, la tristesse (mort, déception amoureuse), la violence (un  moyen d'expression du 140), les stéréotypes ("ce n'est pas pour vous!" lui dira la femme qu'il rencontre quand il demandera à s'inscrire au Lycée d'Enseignement Général en hôtellerie).  Ces passages à vide, ces pertes/recherches de repères, il finira par les considérer comme un simple creux de la vague, de manière dynamique. Car ces éléments forment aussi des rencontres qu'il faut gérer et dont on apprend : même si la tentation est grande d'idéaliser et de ne retenir que les bonnes rencontres. Cette reconnaissance des rencontres dans l'apprentissage implique sans doute une exigence avant tout avec soi-même, sachant que l'on ne maitrise pas tout, peut-être une exigence de sincérité. Comme un court extrait d'une interview avec Alain Chapel de 1985 le rappellera, "il est bien qu'il y ait un petit accident".

"Parcours atypique", c'est l'expression consacrée pour caractériser ce type de parcours.  Pourtant, il parait justifié d'interroger l'utilisation d'atypique et de se demander ce que serait une vie sans rencontres. Celles que Thierry Marx donne à lire peuvent paraître tout à fait extra-ordinaires, sans doute parce qu'il a évolué dans un milieu "particulier" - et connoté-, et pour lequel notre imaginaire fonctionne à merveille : milieu assez secret avec les rivalités qu'on lui attribue, des exigences presque tueuses (on se rappelle le suicide de Bernard Loiseau en 2003).
Cependant, malgré cet aspect extra-ordinaire, je suis tentée de penser que ce parcours est plus exemplaire qu'atypique, puisqu'il reflète comme les rencontres construisent la personne. Il serait ainsi un bel exemple non pas à suivre mais à vivre pour, comme le disait le grand-père de Thierry Marx, "Inventer sa vie en tant qu'homme". Une belle leçon de vie, non?

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