Rencontre avec mon professeur de danse
* était un personnage ambigu, une énigme
comme dirait Philippe Meirieu. Une soixantaine d’années, grande, blonde, tirant
sur le gris, toujours les cheveux tirés, elle m’a fait aimer la danse qui fait
partie de moi dorénavant. Ma rencontre avec elle ne fut pas sans heurts mais je
ne l’ai jamais considérée comme « une image rigide à imiter mais comme une
dynamique susceptible d’en inspirer d’autres. »* Elle était dure avec ses
élèves et pouvait user de sa canne si un doigt ou bien une cheville n’était pas
là où elle l’avait décidé. Dans le même temps, elle ne souhaitait pas préparer
ses élèves au concours de l’Opéra de Paris parce qu’elle était persuadée que n’y
était pas prise en compte l’expression toute personnelle de chaque danseur ou
danseuse. Elle me poussait à faire des stages de danse contemporaine avec
* dont la troupe résidait à *. Ainsi, elle savait me prendre
par surprise. Une année, cela devait être mon troisième spectacle de fin
d’année, elle avait décidé que je serais Emilie Jolie ; elle
m’accompagnait en dansant le rôle du conteur qui suit l’enfant Emilie tout au
long du conte qu’elle avait alors traduit en ballet. Elle m’a soutenu mordicus
qu’à la répétition générale du spectacle, ce serait un danseur professionnel
qui viendrait endosser le rôle qu’elle tenait et qu’il fallait donc que je sois
extrêmement attentive à mon propre rôle mais aussi à la place que le spectateur
accorderait au conteur tout au long de l’histoire. Bien sûr, il n’en fut rien
mais elle tint à ne me rien révéler jusqu’au jour J et quel fut mon plaisir
quand finalement elle dansa avec moi. *m’a toujours poussée
dans mes limites tant au niveau technique que sensible. C’est peut-être cela
aussi la formation, chercher mes limites et accepter d’autres repères dans mon
propre cadre de référence. Cette femme était froide et chaleureuse en même
temps à l’image du toit de chaume de sa maison perdue au fond de la campagne
normande.
Nature
La campagne, rencontre avec le monde sensible. Il y avait
les virées avec mon frère bien sûr, le potager et la cueillette familiale des
bords de route : les primevères au printemps et les mûres à l’automne.
« Dans ce jardin, un siècle de feuilles mortes »**: avec la nature
s’inscrivait mon histoire dans ce monde dont j’étais avec tant d’autres.
Je goûtais aussi la chasse de la chouette-effraie. Je me
souviens du plaisir que j’ai eu lorsqu’en cours de biologie en classe de
sixième j’écoutais le bruit léger et clair qui se dégageait quand j’extrayais à
l’aide d’une pince à épiler les petits os des rongeurs contenus dans la pelote
de rejet de ladite chouette. Les semaines que durait l’exercice, je ne me
lassais pas d’entrer en contact avec l’oiseau de campagne qui vivait là, dans
les champs alentour, à l’écoute de son univers.
Ecoute
Par l’écoute, je me construisais, je m’ouvrais et
j’accueillais, j’apprenais sur moi et sur le monde. Je m’ouvrais aux bruits
extérieurs, à l’espace, aux mouvements, à la lumière. J’étais sensible aux
rythmes et aux mélodies même si je n’avais pas l’oreille assez fine pour
toujours déceler les quelques fausses notes qui pouvaient se glisser lors
d’exercices de flûte pratiqués dans les premières années du collège.
Je découvrais des compositeurs comme Bartok ou bien Boulez
qui déstructuraient le rythme des Tchaïkovski ou autres compositeurs de ballet
classique. Ce fut une rencontre incroyable, j’écoutais autrement et je pouvais
alors me mettre à danser sur le rythme lancinant d’une machine à laver qui
essore et m’amuser grandement. Un peu plus tard, à l’âge de dix-neuf ans, j’ai
eu une envie soudaine de sons de pianos, puis de sons de violons. J’allais à la
bibliothèque municipale et enregistrais nombre de cassettes de divers
concertos. Ce qui m’intriguait et me déroutait tout à la fois, c’était
l’utilisation, la prédominance d’un même instrument de musique qui pouvait
exprimer des émotions si variées. Je rencontrais mêlés, la joie, le pathétique,
la douceur, la mélancolie, la frénésie et tant d’autres.
* Meirieu Philippe, Apprendre… oui, mais comment ?,
Paris, ESF Editeur, 1987, p. 94
** Haiku de Matsuo Bâsho, Anthologie du poème court
japonais, Paris, Gallimard, Poésie, 2002, p.188
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